« Le temps est un ami, non mesurable, comme le battement de notre cœur. » Une exposition du grand artiste Dimitris Alithinos, consacrée à la période 2000-2010, se déroule actuellement à la galerie Roma à Athènes.


Dimitris Alithinos (1945-) est un artiste qui a adapté son œuvre, dès ses débuts dans les années 70, à la réalité politique et sociale qui l’entourait. Il s’exprimait, d’une manière souvent critique, provoquante, dure et parfois révolutionnaire, mais qui restait toujours poétique et mélancolique, en mettant en évidence la force du langage plastique. Il était particulièrement connu en et hors de la Grèce, surtout à travers ses performances qui ont suscité beaucoup de réactions et débats.

Dimitris Alithinos, Sans titre, 2005, bois, terre, couleur en poudre, plexiglas, 150×150

Une décennie plus tard, il commença un nouveau cercle de travail, en voulant s’éloigner de la salle d’exposition et se tourner vers l’espace public ; surtout l’espace où se déroulent des événements majeurs pour l’avenir de notre civilisation et où se renforce l’identité des régions et des peuples. Il a voulu enrichir ses performances avec des éléments rituels, et il visait désormais l’espace vital et intellectuel des gens, quelle que soit la position géographique.

Dimitris Alithinos

En tant qu’artiste humaniste, son contact avec différents monuments et des découvertes archéologiques, l’a amené à une lecture verticale de l’histoire jusqu’à nos jours. Inévitablement il s’est tourné vers l’étude d’autres cultures, approchant non seulement leurs œuvres artistiques mais aussi en général toutes les productions et pratiques des gens, sans discriminer entre l’élément sublime et l’élément quotidien : là où les œuvres, les doctrines, les coutumes et les mythes renvoient aux origines primitives de notre civilisation.

Dimitris Alithinos, Sans titre, 2005, bois, terre, couleur en poudre, plexiglas, 150×150

Depuis les années 80, il a adopté et servi une perception universelle de l’art, en ayant comme centre l’interculturalité, non pas au niveau de recherche en laboratoire, de l’anthropologie et d’ethnologie mais au niveau de la découverte, de la coexistence et de l’expérience. Par l’étude et l’observation d’autres cultures il découvre des « endroits » où l’admiration de la nature et de l’univers, la communication, la purification et la guérison de l’âme maintiennent encore des liens avec les origines de l’art. De cette manière il a créé des œuvres en collaboration avec des chamanes, des chefs et membres des tribus et des prêtres afin de détecter les origines et les liens de l’art avec des rituels très anciens qui existent encore. Dans des rituels où l’œuvre/objet continue à exister et ne finit pas par être « absorbé » par le processus, il s’est défini plus par l’énergie qu’il porte et dégage, que par sa forme et le résultat final.

Dimitris Alithinos, Sans titre, 2003, bois, terre, couleur en poudre, plexiglas, 78×115

En 1981, l’artiste a commencé les « dissimulations » (Κατακρύψεις), un réseau d’œuvres cachées, dispersées partout dans le monde qui continue à développer. Jusqu’aujourd’hui il a réalisé 214 œuvres. Un peu plus tard, en 1985, comme un acte de résistance contre l’invasion économique et sociale des normes/modèles venant de l’Occident, il a commencé une série d’œuvres qu’il l’appelée « Collaborations » et « Offres » ; également dispersées dans le monde. Ces œuvres sont la quintessence d’une approche interculturelle et des collaborations pour la défense de l’héritage culturel universel.

Dimitris Alithinos

Dimitris Alithinos lit beaucoup et écrit lui-même. Il s’inspire de la mythologie, de la théologie et de la philosophie et suit tout ce qui est lié à la culture et l’environnement. À l’instar de deux auteurs qui l’ont influencé le plus, A. Rimbaud et J.L. Borges, il est inspiré par la mythologie, la théologie et la philosophie. Il suit à travers ce prisme tout ce qui est lié à la civilisation et l’environnement. Ses théories ont été développées durant les 30 dernières années à propos du pluralisme et de l’hybridité dans l’art. L’angoisse d’un art homogène qui supprime l’histoire, la mémoire et l’identité des individus, avec la menace d’une destruction de la planète par faute humaine, soit disant au nom du progrès, ont stimulé et probablement accéléré ses recherches.

Ses œuvres, visibles ou pas, à travers leur matérialisation ou dissimulation, posent publiquement des questions comme la continuation et le sauvetage de la culture ; son origine, sa mémoire, l’amour et la création comme des antidotes à la mort, nos origines communes qui nous réunissent avec la mère-terre et l’environnement, le rapport qui lie le sacré à l’humain, la communication essentielle au dehors des codes, l’échange entre visible et invisible.

Dimitris Alithinos, Sans titre, 2000, bois, crayon, acrylique, cendre, cheveux, plexiglas, 68×80

En prenant en compte l’ampleur de l’œuvre de Dimitris Alithinos, à la fois comme artiste actif et citoyen du monde, évidemment il y a deux éléments qui la définissent, ceux de l’espace et du temps. D’après lui-même, l’espace est un tyran alors que le temps est un ami. Malgré la peur de l’usure, de la fin, de l’angoisse et de la durée, le temps n’est mas mesurable de la même manière pour tous, et en tout cas, il coule sans le mesurer, comme nous ne comptons pas les battements de cœur qui nous maintiennent en vie. Au contraire, l’espace est un champ de bataille, la raison principale de la déformation de l’image, qu’il s’agisse d’un paysage extérieur, social, urbain ou d’un paysage intérieur.

Dimitris Alithinos, Sans titre, 2004, bois, terre, photo imprimée, horloges, plexiglas, métal, 78×115

La question du temps se pose fortement, même s’il est perceptible différemment parmi les différentes cultures. Même si les grands philosophes et scientifiques s’efforcent encore de le capter et le définir comme une notion d’une manière unanime.

À quel point le temps est commun ? À quel point sont-ils communs son comptage et ses « marques » définis comme indices ? Le temps des œuvres humaines n’est pas mesurable et prévisible. Elles n’ont pas une espérance de vie comme les êtres humains. Peut-elles se caractériser comme intemporelles ? La recherche du temps consiste un élément important dans le travail de Dimitris Alithinos qui, depuis 10 ans, suscite son inspiration et propose de l’affronter d’une manière différente.

Dimitris Alithinos, Sans titre, 2004, bois, terre, couleurs en poudre, horloges, plexiglas, 100×150

[…] Lors de l’exposition actuelle à la galerie Roma, sont présentées des œuvres de la période 2000-2010, avec beaucoup d’éléments de la série « Dissimulations », puisque la matière principale est la terre, en créant un fort lien avec la fertilité, la culture et la terre même. Autrement dit avec le processus génératif. […] Il y a une référence au traumatisme de l’origine commune de la vie et en même temps à la force de l’amour. […] Le temps apparaît et s’identifie avec l’élan de la nature et de la jeunesse, comme un souvenir, à travers une touffe de cheveux de femme ou à travers une référence sur le sacrifice. La continuité, culturelle et historique, est garantie par l’homme, avec l’art qui se distingue à peine au-dessous de la terre, ou aussi comme une menace venant du son des horloges invisibles (cachées sous la terre ), qui compte et avertit, comme le cœur caché dans notre poitrine.

(Extrait du texte de Katerina Koskina, 2019)