Interview de Michalis Madenis, un des artistes grecs les plus importants de sa génération, avec une œuvre forte en vérité…

Interview accordée à Ioannis Tzimourtas pour le site Art22.gr


À ta dernière exposition*, la vibration des spectateurs, devant tes œuvres, était intense. Nous avons vu tout ton univers. Des émotions, de la tension, de la nostalgie, de la solitude, des amours. Des murs couverts avec de forts poèmes. Vraiment, quel est l’univers artistique de Michalis Madenis ?

Le monde dans lequel je voyage dans ma peinture est ma vérité. Des mains nues, et tout ce que j’ai déjà récolté à ce moment, avec mes yeux et mes sens. Le cadeau de la vie emprisonné dans la toile blanche. L’espace carré de l’atelier, véhicule d’exploration du monde infini. La lumière…qui devient sombre, l’ombre et la nuit. Mes chemins. Les mains comme une palette pleine de couleurs, je bâtis le temps, jusqu’à ce que le cercle soit fermé.

À la galerie Evripides à Athènes

Qu’est-ce qu’ un tableau pour toi ?

C’est une œuvre, où à un moment donné, je confesse exactement ce que je veux dire. Le temps de la lutte pour son résultat est le sacrifice de tout ce que je n’ai pas vécu. Ma récompense est que l’œuvre inclut du passé, du présent et du futur.

Michalis Madenis

Tu avais dit que quand tu n’as pas d’inspiration, tu prends les pinceaux et les couleurs, tu te tiens devant le tableau et l’inspiration arrive. Le sentiment ?

L’émotion et tout ce dont j’ai besoin arrivent, comme des soldats sur la ligne de front. Le temps est remis à zéro et ma vie me donne des couleurs et des respirations. En ce qui concerne les mots exacts de ma réponse, j’avoue que je les dois au maître Tetsis, et j’essaie de les suivre.

Il y a des besoins intellectuels ou émotionnels pas satisfaits dans une de tes œuvres ?

Si l’œuvre ne me satisfait pas, cela veut dire qu’elle n’est pas complète, qu’elle n’a pas encore atteint le but de sa naissance. Je la laisse dans les mains du temps et j’y reviens. Si tu ne détruis pas quelque chose de bon, le meilleur ne vient jamais. Ce n’est pas une règle, mais c’est toujours en tête. Comme une douleur secrète, s’il ne me lâche pas, je ne lâche pas non plus.

Michalis Madenis

En regardant encore et encore tes dessins, (qui nous ont conquis), nous constatons qu’ils s’adressent à ce que Antoni Tapies appelait «  bagage spirituel du spectateur ». Apparemment, ton intention, outre le dialogue, concerne une interaction émotionnelle.   

Le dessin est la parole, le début et la fin, la ligne où je me découvre moi-même. En ce qui concerne le spectateur, il est libre de faire son propre voyage sur les lignes. Elles sont la clef de l’atelier, l’ADN du peintre.

…Tu as un mécanisme personnel de communication, d’approche avec le spectateur.

La seule chose que j’ai à déposer au spectateur est ma vérité, nue et accrochée, sans défense, mais présente.

Michalis Madenis dans son atelier

Le scientifique se dit « je ne veux pas être célèbre, je me concentre à mes expérimentations afin d’accomplir mon but. » Le peintre valait-il la peine de « sacrifier » une partie de son existence artistique pour qu’il devienne plus facilement compréhensible pour le spectateur ?

Moi je me souviens des peintres pour qui la peinture était leur vie. Ceux-ci sont mes exemples.

Michalis Madenis, portrait de Lakis Papastathis

L’univers existe parce qu’il existe l’esprit humain !… Et l’art ?

L’homme cible le temps avec l’art, le regard se nourrit de toutes sorte d’art. L’âme batte d’ailes, l’homme se lève, là-bas, tout seul, dans sa vérité, et rejoint ses pièces.

Dans une série de tes œuvres tu laisses voir le dos des toiles. Intellectuellement et émotionnellement où se trouve le spectateur ? A-t-il quelque-chose à décoder ?

Beaucoup de choses sont visibles, existent et parlent. Les plus belles tu les découvres. Peu importe de quel côté tu vas rester. Les approcher, toucher, voir, observer, est le plus important. Tout joyau trouvé est à toi, l’œuvre le garde bien protégé, pour toujours.

Michalis Madenis avec la directrice de la galerie Evripides, Eleftheria Gkoufa

L’envie du spectateur de trouver un sens dans tes tableaux, souvent est vaine. Pourtant, il se tient devant pendant longtemps. Qu’est-ce qui retient enfin le spectateur ?

Personnellement je reste pendant plus longtemps devant des œuvres qui présentent un intérêt. Il y a plusieurs et différentes raisons, j’oserais dire, c’est quand l’œuvre m’enchante, puisque la peinture est de la magie.

Michalis Madenis

D’où vient ton obsession avec la pluie ? Van Gogh est un de tes prétextes ?

La référence sur Van Gogh est juste mais il y a encore beaucoup plus de raisons et de pensées ; la pluie est une bien aimée. Pour moi elle est comme une route verticale, couverte de terre, et qui démarre des paumes du Dieu.

Quels artistes ont influencé ton œuvre ?

Je crois que sont lisibles (détectables)  les peintures que j’ai aimées et mes maîtres. Le spectateur est libre de les découvrir. C’est le début du dialogue, de la communication et du désaccord, quelque chose que l’art offre généreusement.

Michalis Madenis

Parle nous de la vérité dans l’art.

Quand l’âme et le sang d’un artiste va devenir de la terre, le temps est scellé avec de la vie. L’œuvre voyage, avec une étrave sur laquelle est sculptée, indélébilement, la vérité, précieuse comme le souffle, comme le regard sur la lumière.

Le peintre commente quatre de ses œuvres :

« Hydra ». Je suis né à Komotini, d’origine d’Asie Mineure, mais j’ai grandi à Hydra, j’oserais dire ma deuxième patrie. Offerte généreusement par mon maître (Tetsis). Une œuvre en cours, peut-être la dernière « Hydra ». Je l’ai trouvée en rouleau oubliée. Maintenant je mets des touches, des coups de couteaux, ainsi je veux tromper ma mort.
 » Athènes-Haye ». Du lin acheté chez un coloriste à la Haye. Du bois partout, avec le temps le bois raconte des histoires des peintres. Rouge était la première pensée. Rouge encore maintenant.
« Géométriques ». Comme un funambule sans filet de sécurité. Si tu veux, applaudis, sinon coupe le fil. Moi je vais réessayer, c’est le plus important ; Se lever, se tenir sur ses pieds. L’art est une question personnelle.
« Athènes-Paris ». Une pluie a commencé dans ma toile, dans la rue « Aristotelous » (à Athènes). Je marche avec de petits pas horizontaux sous le flux vertical de la pluie. Un voyage à Paris a ranimé des vieux amours. À mon retour, j’ai marié le souvenir avec la pluie. Un ange m’a dit qu’ils vont vivre dans l’île de Venus.

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*Au printemps 2019 Michalis Madenis a présenté son exposition avec le titre « Le minimum, l’indicible, la trace » à la galerie Evripides à Athènes. À lire ici.