« Je considère que mes œuvres sont sacrifiées par le feu… »

Après la catastrophe l’artiste retrouve la force de la création. Les incendies de l’été dernier en Grèce, dans la région de Mati (en Attique), ont fait une centaine de morts ainsi que d’innombrables dégâts et déstructions de biens.

Interview accordée à Ioannis Tzimourtas, journaliste et directeur du site Art22.gr .  

Le septembre dernier l’artiste grec Thomas Bertolis allait présenter son exposition personnelle à la galerie Athénienne « 7 ». Toutes les sculptures étaient prêtes et le catalogue se trouvait déjà à l’imprimerie. Mais cette exposition n’a jamais vu le jour, elle n’a pas eu cette chance. Les œuvres, les dessins, les matériaux de l’artistes ont été détruits par le feu qui a dévasté la région de Mati le juillet dernier. Sa maison avec une grande partie de son travail ont été réduites en cendres.

L’histoire de Thomas Bertolis est une des centaines d’histoires personnelles qui ont marqué l’été dernier la Grèce. Après cet événement tragique, j’ai rencontré personnellement l’artiste et cela a été pour moi une surprise rassurante. Quelques mois après, l’artiste retrouve la force de dessiner de nouveau, de façonner l’argile, de sculpter, de « bâtir » une nouvelle fournaise et de créer de nouveau. Pour Thomas Bertolis le feu n’est pas plus grand que l’espoir. Ses œuvres détruites sont des « ombres effacées » qui vivent en lui et qui recommencent petit à petit à respirer.

Thomas Bertolis est un artiste typique de l’« art brut ». Il admire et étudie Picasso et Dubuffet, la civilisation minoenne, les figurines chypriotes, l’art précolombien, les créations des Papoux de la Nouvelle Guinée, l’âge du bronze. Et toutes ces recherches donnent naissance aux figures d’animaux qui dominent souvent dans les mythes d’Esope. C’est agréable de discuter avec lui sur son art, malgré le peu de temps qui nous séparent de la grande catastrophe…  Il a retrouvé le chemin pour un nouveau commencement…

Thoma, tu as vécu une chose horrible : la destruction de ta maison, tes œuvres, ton atelier.

C’est autre chose de le raconter que de le vivre. Pour moi cela a été une expérience certainement traumatique, en plus seulement quelques jours après la perte de mon père. C’était une maison de trois générations provenant de mon arrière-grand-père.
Avec des objets et des livres d’une grande valeur, dont beaucoup étaient des premières éditions dédicacées par des auteurs importants : dessins et lettres de Fotis Kontoglou à mon grand-père, mes œuvres mais aussi celles de ma mère qui est iconographe et peintre de porcelaine.

Tu as essayé de sauver quelque chose de la catastrophe ? Le feu ne vous a donné aucune chance ?

Je vais vous dire une seule chose : quand, enfin, nous avons réussi à partir, le feu était juste en face.

J’ai une question, peut être pas très appropriée, mais je vais la poser tout de même : A ce moment- là, tu étais inquiet plutôt pour la maison ou les œuvres ?

Ni l’un ni l’autre. A ce moment -là on veut sauver sa vie. Ma seule préoccupation était de prendre mes proches, mon chien et partir de là.

Comment tu t’es senti quand, après le feu, tu es entré à la maison et tu as trouvé tout détruit ?

Le lendemain j’y suis allé avec mes frères et c’était un vrai choc… L’ambiance était étouffante. L’odeur de brûlé était très intense. Notre maison complètement détruite à l’intérieur et à l’extérieur. Le jardin, tellement soigné autrefois, n’existait plus. Les œuvres, destinées pour l’exposition à la galerie « 7 » le 24 septembre dernier, ont été cassées, noircies, couvertes de verre fondu. Heureusement mon matériel au sous-sol a été sauvé. Un grand soulagement dans cette noirceur.

Aujourd’hui chez toi tu as beaucoup d’œuvres détruites. Comment tu te sens en les prenant dans les mains ?

Vu que les œuvres sont cuites à température très haute, elles n’ont pas été fondues, mais la plupart a été cassée et est noircie. Ces œuvres me suscitent de l’admiration et du respect. J’ai l’impressions que ces œuvres ont été sacrifiées en passant par le feu. Elles feront partie de ma prochaine exposition comme un témoignage.

Tu as installé un nouvel atelier. Tu as commencé à travailler de nouveau ?

Oui heureusement j’ai pu faire un nouvel atelier. Et je travaille sans cesse.

Dubuffet faisait souvent références au respect des « primitifs » pour toutes les créatures terrestres. Il a affronté les idées dominantes de son époque. Je crois que ton rapport avec la sagesse d’Esope est lié avec le respect pour le monde qui nous entoure.

Bien sûr. Toutes les créatures de la nature ont une unité morale et singulière. Esope a été inspiré par elle, il a fait parler les animaux entre eux et interagir comme les humains. Il a souligné leurscaractéristiques extérieures et leurs particularités intérieures. Ses actions et comportements constituent une leçon de morale pour les humains.

Comment tu as commencé ton « echange » avec Esope ?

Mon amour pour les animaux m’a conduit vers Esope.

J’ai l’impression que tous ces animaux, qui sortent des mythes d’Esope, reprennent forme dans ton atelier et animent un esprit de liberté qui manque aujourd’hui

L’homme contemporain est esclave du materiel et enfermé dans le mode de vie contemporaine. Il est tout sauf libre. Contrairement aux animaux qui – quand ne sont pas torturés pas les humains – profitent de leur liberté.

En regardant tous ces animaux je me demande si tu crois à la parole qui dit « depuis que j’ai connu les hommes j’ aime les animaux »

C’est vrai que l’amour désintéressé et sans limites chez les animaux caractérisent très rarement les relations humaines. L’animal, même quand il attaque, c’est pour se défendre ou pour survivre.

Qu’est ce que signifierait pour toi le mot « expérimenter » ?

Tout mon art est une expérimentation constante. Surtout ma matière, l’argile, demande toujours d’expérimentations.

Tu es né avec le crayon de dessin à la main ou l’art a émergé plus tard ?

L’art a émergé plus tard en trouvant et découvrant moi-même après beaucoup de recherches.

Tu es influencé par quels artistes ?

Tout d’abord Picasso. J’ai été profondément inspiré par ses minotaures. Aussi Dubuffet avec son art brut et l’art des enfants. Deuxièmement, de la civilisation cycladique avec les figurines de Paros et Naxos et d’autres îles ainsi que les figurines Chypriotes de taureaux, d’oiseaux et d’autres animaux. Aussi des découvertes de l’âge de bronze du 3ème millénaire et de l’époque minoenne avec les taureaux et les danseurs. Troisièmement, de l’art précolombien, des masques des peuples d’Océanie, des Indiens de l’Amérique du Nord, de l’Egypte, des Papoux de la Nouvelle Guinée.

Parle nous un peu du processus de ton travail, des matières utilisées, de la préparation, de l’exécution et en général des étapes du début jusqu’à la fin.

Je façonne l’argile avec les mains. Chaque morceau est unique et ne se répète pas. J’utilise de différents argiles à haute température. Une fois que la sculpture est façonnée, je la laisse reposer pour longtemps jusqu’à ce qu’elle sèche bien, et après je la met à cuire à 1200 degrés. Je ressens l’argile dans mes mains comme quelque chose de vivant qui obéit aux ordres donnés par ma pensée, il est dompté dans mes mains. Dès le début, en regardant le morceau d’argile je vois déjà le petit animal qui va sortir et en le finissant je me sens comme si je lui avais donnais la vie. Il y a certains sentiments qu’on n’arrive pas à décrire. Je pourrais dire que je vis pour travailler. Cela me donne de la satisfaction, de la joie, un but dans ma vie.

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