Toni Milaqi est un peintre honnête, dévoué à son art. Sa peinture est une énergie concentrée, solide et reconnaissable. La clarté figurative de ses œuvres agit comme un magnet, captant le regard et guidant l’esprit dans de nouveaux raisonnements, dans une ambiance parfois énigmatique, le plus souvent révélatrice. Mais sa peinture ne nous trompe jamais. Il arrive, dans des choses qu’elles sont vraiment ce qu’elles semblent, de découvrir leur profondeur, leur nature multidimensionnelle… Par la force d’une image facilement « lisible » nous sommes transférés sur de nouveaux sols de réflexion …  et les œuvres de Toni Milaqi sont des sols de réflexion fertiles. Ci-dessous l’interview de l’artiste :


E.T* : Il y a quelques années j’ai eu le plaisir de collaborer avec vous lors de votre exposition « De violence et d’autres démons » à Paris à la galerie Desmos. Je me souviens qu’elle a été une des expositions qui a donné lieu à des nombreuses conversations, les visiteurs développaient un dialogue avec vos œuvres, il y a eu l’envie de les décodaient, parfois ils ont été étonnés même choqués mais tout en s’apercevant leur message. Dans vos œuvres, avec force, vous nous a « parlé » de la violence, en faisant écho aux situations familières contemporaines en pleine crise, mais en émergeant en même temps une sensation forte d’intemporalité. Les visages changent mais les « démons » et leurs jouets demeurent les mêmes à travers le temps et les époques…Comme une pièce de théâtre, qui malgré les changements de sa mise en scène et des comédiens, conserve toujours la même fougue et les même objectifs …

T. M : Chère Eva, quelques années ont passé depuis cette exposition, et comme ça se passe dans ces cas-là, les choses vécues sont filtrées dans la mémoire et il ne reste que l’essentiel. Une chose qu’il me reste concernant la mise en place de cette exposition est votre gentillesse et professionnalisme. Nous vivons dans une époque passionnante pour un créateur, riche en matière et en stimuli. Mais si nous regardons plus en profondeur rien n’a changé et rien n’est sans précèdent. L’essentiel reste le même et les rôles que nous devons jouer sont distribués il y a des milliers d’années. Cette pièce que nous sommes invités à jouer est aussi ancienne que le parcours humain sur la terre. 

Toni Milaqi « Les Visiteurs », 2019, acrylique sur toile, 120x 90 cm

Pour revenir sur l’exposition de 2016, je pense que les questions posées dont vous avez parlé à tout à l’heure, persistent dans le temps, effectivement grâce à l’ intemporalité des sujets. Les démons, qui souvent dorment en nous, ne se disparaissent pas si facilement. Il est de notre devoir de les connaitre le mieux possible, comme aussi les sources dont ils puisent leur force, leurs faiblesses, pour qu’on puisse dans une phase postérieure les apprivoiser.

E.T : Quels sont les enjeux dans votre peinture aujourd’hui ? Est-ce que les démons de l’actualité continuent à en faire l’objet ? Quel est votre rapport avec l’actualité ?

T.M: L’actualité pour un artiste, enfin pour un penseur, n’est que la surface. Tant qu’il reste en surface sans faire des « forages » en profondeur, au cœur de l’existence humaine, il ne peut pas être fier de trouver des choses importantes. Les trésors se cachent bien à des grandes profondeurs, là où la lumière de l’actualité n’atteint pas facilement. Pour moi l’actualité n’est que le prétexte, pas le résultat ; elle est le point de départ de mon voyage, pas le point final.

Toni Milaqi « Moiroloi à Vouliarates » (chant funèbre à Vouliarates)2018, acrylique sur toile, 120x 90 cm

E.T : Souvent vous réalisez des portraits de vos proches qui témoignent on dirait un dévouement touchant, tant à la personne en face de vous qu’ à l’évolution de votre art. Parler nous un peu de ces portraits.

T.M : Chaque peintre, s’il est correct et franc, peint le monde qu’il l’entoure, tout ce qu’il a touché et vécu au niveau humain, ce qui lui est familier et qu’il connaît bien. Une fois un client m’avait demandé de réaliser une série d’œuvres avec des indiens d’Amérique en m’offrant pas mal d’argent, mais j’ai refusé. C’est un monde que j’ignore, donc je n’en pouvais pas parler. Il m’a été tout à fait impensable de m’occuper avec quelque chose aussi loin de moi. Je maintiens le même regard sur tout ce que je peins. Mes gens (avec leurs amours, obsessions, haines, passions, peurs et interrogations) sont mes sujets, ils font partie du noyau de ma vérité, humaine et bien sûr artistique.

Toni Milaqi ‘Maniola sur le balcon » 2019, acrylique sur toile, 120×90 cm, 2019

Tous ces portraits de mes proches (avec ceux que je partage la caresse du soleil, je bois de la même eau, nous mangeons les mêmes fruits de la vie, nous somme caressés par le même vent, et marchons dans la même terre) constituent des éléments principaux dans cette plongée nécessaire de connaissance de soi. Dans l’histoire du monde un artiste ne peut offrir qu’en parlant sur sa propre vérité et non sur des faits et des phénomènes qu’il ignore complètement.

Toni Milaqi « Trois études de portrait d’ Eleni » (triptyque, acrylique sur toile , chaque panneau :60×50 cm, 2020)

E.T : Nous observons aussi l’importance de la mémoire historique dans votre travail. Des références plus ou moins directes aux événements historiques qui ont marqué des lieux, des peuples, des gens. Croyez-vous que l’art peut donner une autre dimension à l’histoire ? Est-ce qu’il pourrait ajouter d’autres informations et des points de vue différents sur des expériences / événements qui se sont produits ?

T.M: Lorsque nous voulons connaître la façon de penser des anciens Grecs, nous étudions les œuvres de Pheidias ou Praxitelis. Lorsque nous voulons connaître sur la Renaissance italienne, sur les gens qui ont vécu à cette époque, leurs coutumes et leur vision du monde ou sur des événements historiques, nous recourons aux œuvres de Leonardo de Vinci, Michael Ange et Raphaël. De la même manière, nous pouvons consulter tout artiste important afin de puiser des informations sur l’époque qu’il a vécu. Chaque vécu personnel, quand il dépasse son microcosme et essaie de donner une réponse digne aux questions fondamentales existentielles et intemporelles, contient en lui un élément historique.

Toni Milaqi « Autoportrait dans l’atelier » , 2019, acrylique sur toile, 120×90 cm

E.T : La présence humaine est fréquente dans vos œuvres, dans des rôles différents. En les regardant, même de loin, je distingue un amour profond pour l’Homme qui souvent pourtant semble de vous déçoit…Serait-il ainsi ? En tant qu’artiste quel est votre rapport avec les gens ?

T.M : Puisque l’Homme existe l’artiste ne peut pas être son juge mais le défenseur de l’existence humaine. Le rôle de l’artiste est d’avancer avec lui, de le comprendre, de l’étudier, de le faire apercevoir le cadre présent qu’il l’entoure et d’ « habiller » avec un regard poétique et esthétique cette étude. L’art n’existe pas sans l’être humain en tant que processus productif, comme son objet d’étude ou enfin comme le destinataire du produit artistique. L’art est né au début de la civilisation humaine et va l’accompagner pour autant que l’Homme existe. Le fait d’être un tout petit maillot de cette chaîne de vie, de participer à cette conversation ancienne de milliards de personnes, née depuis des milliers d’années, cela ne peut que me procurer une émotion profonde et une énorme joie. Je peins donc j’existe.

*Interview accordée à Evangelia Tzimourta